LA PROXIMITÉ, RÉALITÉ OU ILLUSION ? (1) – du 20 juin 2012 (J+155 après la CNAC)
Nous fêtions, il y a deux jours, le deuxième anniversaire de Chantecler, nous voilà à présent installé dans la durée. Mais le côté triste de la chose, c’est que le destin habituel de ce qui dure est la sclérose et l’obsolescence : on bouillonne d’abord, puis on feuilletonne, on commence à se répéter, on s’institutionnalise enfin, et on finit par radoter.
Quelques jours après l’épreuve de philo du bac, nous allons donc tenter aujourd’hui de conjurer la menace en nous asseyant à la table d’examen du potache, suant sang et eau sur un sujet à développer. Nous implorons par avance l’indulgence de nos lecteurs qui seront peut-être aussi d’impitoyables censeurs.
Le sujet qui nous est imposé, tant par notre inspiration du jour que par les circonstances est le suivant : « La proximité, réalité ou illusion ? ». En effet, tant de choses devant prochainement advenir nous ont été annoncées qui n’arrivent jamais, telles la « sortie du tunnel » depuis la crise de 1973 ou, plus récemment, la solution de la crise grecque et puis tant de gens aussi nous assurent de leur proximité et de leur écoute et qu’on attend en vain quand le besoin s’en fait sentir, que le quidam finit par s’interroger.
Plutôt que d’infliger à notre lecteur un discours bâti sur plan préfabriqué « thèse-antithèse-synthèse », nous avons pris la liberté d’éclairer sa réflexion par une série de variations sur le thème de la proximité que nous déclinerons selon trois axes : proximité humaine ou existentielle, proximité spatiale, proximité temporelle. Pour rester dans le cadre de notre blog, nous veillerons à puiser autant que possible nos exemples illustratifs dans la matière de celui-ci.
Nous vous proposons aujourd’hui, d’esquisser une réponse au premier volet de notre sujet : « proximité humaine ou existentielle, réalité ou illusion ? » Nous traiterons les deux autres volets dans des épisodes ultérieurs.
Depuis que l’épreuve de culture générale a déserté l’épreuve d’entrée à Sciences-po, les citations ne sont plus de mise, pourtant, à citer Pouchkine, on ne peut être vieux jeu, alors tentons une citation qui facilitera bien notre travail :
« Permettez : il vous plairait sans doute
D’apprendre de moi maintenant
Qui sont au juste des « proches ».
Nos proches voilà comme ils sont :
Proximité obligée
Mamours et franche estime
Et puis selon la coutume
Visite de rigueur à Noël
Ou vœux par la poste envoyés,
Afin qu’ils ne pensent plus à nous
Pour tout le reste de l’année…
Ainsi, Mon Dieu, donne leur longue vie ! »
Pouchkine
Eugène Oniéguine (Chant 4 Strophe 20) (traduction C.S.)
Avouons que tout est dit dans cette strophe, sans un gramme de graisse ou de complaisance. Nous ne prétendrons donc pas y ajouter quoi que ce soit, nous permettant cependant un parallèle.
De la famille à la politique, il n’y a qu’un pas. Ne parle-t-on pas de « famille » politique et d’ « apparentés ». Et cette « proximité », souvent revendiquée par nos représentants politiques, ne s’apparente-t-elle pas elle-même à cette proximité à éclipses si bien décrite par Pouchkine ; il suffira pour s’en assurer de remplacer « visite de rigueur à Noël » par scrutin. Ainsi la proximité proclamée au sein de la famille ou de la cité se montre souvent cruellement illusoire. Elle peut même se révéler encombrante si l’on se réfère à certain tweet ayant récemment défrayé la chronique. La proximité d’une « pièce rapportée » qui ne se contente pas de jouer les « pièces jaunes » peut ainsi surgir inopinément et de façon incongrue dans un paysage de campagne. Et pour filer la métaphore facile, nous ajouterons : tout comme surgit l’hypermarché et son parking bétonné au milieu des blés. De proximité illusoire en proximité encombrante, la proximité humaine s’avère donc bien souvent décevante.
Schopenhauer est un sage qui donne la bonne mesure avec sa fable des porcs-épics. Par un rude hiver, les piquantes bestioles, aspirant à se réchauffer par une proximité accrue, ne réussissaient qu’à s’entre-blesser. Il leur fallut donc choisir le moyen terme entre geler ou saigner. Voilà bien de quoi inspirer des congrès futurs. Fable pessimiste surtout, qui remet chacun à sa place et au premier chef, les philanthropes déclarés agissant sous la bannière prétentieuse de l’intérêt général. Une proximité raisonnable, gardant poliment ses distances sans prosélytisme tapageur ni appétits de conquête, voilà la bonne mesure. Une seule règle donc en matière de proximité : garder lucidité et mesure. Et cette bonne mesure, ne fut-elle pas largement dépassée en juin 2010 dans notre cité, lors du grand racolage-encollage pour la zone du Charmoy ?
Nous traiterons prochainement les deux autres volets de notre réflexion, promettant à nos fidèles lecteurs de centrer plus précisément nos réflexions sur la zone du Charmoy.
C. S. Rédacteur de Chantecler,
Auxonne, le 20 juin 2012 (J+155 après la CNAC)