ENVERS ET CONTRE TOUS – du 10 janvier 2013 (J+24 après le dépôt)
« Envers et contre tous », cette formule est belle ! Elle concluait, d’après Littré, « les anciens serments de foi et d’hommage ». Venue des temps de la chevalerie, elle est hélas terriblement démodée. Dans notre monde de compromis, voire de compromissions, seul un Don Quichotte égaré, en butte à tous les obstacles, pourrait se risquer à la prononcer, suscitant à coup sûr les rires étouffés d’assistants goguenards et se poussant du coude.
« Envers et contre tous ». Je ne m’attendais certes pas à trouver un avatar de cette formule héroïque dans Le Bien Public d’hier, 9 janvier. Tel est pourtant le cas.
Dans un article intitulé « Auxonne. Le maire de la commune dévoile ses projets pour la nouvelle année » je lis :
« Concernant la construction du magasin Leclerc, il est vrai qu’il s’agit d’un investissement privé mais je l’ai défendu envers et contre certains…. »
« envers et contre certains » Il est original, cet usage d’une locution adverbiale habituellement figée. « Il est vrai », pour reprendre le propos de Monsieur le maire, que l’on peut prendre certaines libertés avec la langue française, n’est-ce-pas d’ailleurs la noble tâche du poète ?
Dans des publications passées, publiées sous la responsabilité de notre « premier magistrat », peut-on pour autant qualifier de licences poétiques ces imprécisions de langage visant à faire accroire par exemple qu’un hypermarché n’est pas un magasin de détail à prédominance alimentaire et allant même jusqu’à désigner un tel établissement comme « un supermarché à dominante non alimentaire ». Tout cela, pourtant, a été écrit, et reste imprimé !
« envers et contre certains » Cette création du premier « grand chantier » linguistique de l’année 2013 a son originalité !
Usant de la même liberté de langage, on pourrait dire tout autant que la « construction du magasin Leclerc a été défendue » non « pour tous », mais « pour certains », d’autres « certains », bien entendu, qui ne sont pas à la même enseigne. Imaginez enfin d’Artagnan proférer « Un pour certains, certains pour un ! », mais d’Artagnan, lui, ne faisait pas de politique !
Vous me direz que la prudence et la modestie imposaient, il est vrai, d’éviter la trop brillante formule « envers et contre tous ». Précaution inutile au demeurant, car – et « c’est désormais devenu un secret de Polichinelle » – sur les champs du Charmoy, chacun sait que se déroulait non pas un combat contre les moulins à vent, mais une âpre lutte d’intérêts. « Faire un Hypermarché [Leclerc] sur sa commune, c’est partir au feu » tel fut le bon mot devenu célèbre d’un investisseur (voir Le Bien Public du 12/10/2009).
Un porte-enseigne dévoué jugea bon d’en faire sa bannière. Dans « l’intérêt général » c’est bien « certain » ! C’est ainsi que s’écrit l’histoire !
C. S. Rédacteur de Chantecler,
Auxonne, le 10 janvier 2013 (J+24 après le dépôt)