DE HOUELLEBECQ EN CHARMOY (2) - du 6 FÉVRIER 2015 (J+2242 après le vote négatif fondateur)
Le thème houellebecquien du supermarché comme métaphore du monde moderne nous avait conduit, il y a quelque temps avec l’auteur, jusque sur les hauteurs du Charmoy. Nous l’avions laissé là-haut en grande conversation avec l’une de ses admiratrices inattendues : notre petite lapine du Charmoy !
DE HOUELLEBECQ EN CHARMOY (1) - du 31 JANVIER 2015
Avant de l’y retrouver, permettez-nous une petite digression philosophico-littéraire.
Un observateur attentif a pu noter que le maître, s’adressant à la petite lapine, serrait sur son cœur un auteur qui lui est cher : le philosophe Arthur Schopenhauer (1788-1860). Paraphrasant le titre du grand livre du philosophe, Le Monde comme Volonté et comme Représentation, notre auteur en vogue avait intitulé l’un de ses textes parmi les plus courts Le Monde comme Supermarché et comme Dérision. Il a d’ailleurs reçu en mars 2004 à Murcia (Espagne) le Prix Schopenhauer pour son œuvre.
Et voilà que même jusque dans nos profondes provinces, Schopenhauer semble à présent nourrir les réflexions les plus variées. À preuve, nous avions relevé récemment ce titre schopenhauerien dans un gratuit local : « Auxonne : le patrimoine comme atout et comme tracas » (HEBDO 39 N° 136 du 24 novembre).
LE CHARMOY COMME ATOUT ET COMME TRACAS - du 26 NOVEMBRE 2014
Depuis un siècle et demi, ce vieil Arthur, tout comme son émule ombrageux Nietzsche, a été mis à toutes les sauces. Si peu le lisent vraiment, il est toujours de bon ton de le citer. C’est Maupassant qui a lancé la mode, et Houellebecq la continue ! En 1888, déjà, Jean Lorrain, grand noceur « pédérastique » devant l’Éternel et auteur sulfureux s’insurgeait contre cette manie avec vigueur en fustigeant les « schopenhauerdeurs » dans L’Évènement du 20 septembre : voilà assez longtemps qu’on nous « enschopenhauerde » ! (Cf. J. Salem, La raison dévoilée : études schopenhaueriennes, Vrin, 2005, p. 176). Il ne pouvait pas mieux dire !
Plutôt que d’ajouter une citation, je préfère à présent prendre quelques libertés avec ma ligne éditoriale pour vous conter en quelques mots ma rencontre avec Arthur. C’est mon professeur de philo au Lycée d’Auxonne (il aurait eu cent ans cette année) qui en parlait dans ses digressions, car Arthur n’était pas au programme. J’ai vite compris que comme Arthur, et comme mon professeur je n’avais pas une très grande foi dans les vertus du progrès matérialiste que je voyais flamber autour de moi, au grand feu des Trente glorieuses.
J’adhérais donc déjà pleinement à cette phrase que m’écrivit un jour mon ancien maître il y a près de cinquante ans, quand nous luttions au coude à coude pour empêcher un autre maire « visionnaire » et « moderniste » de transformer l’Arsenal en cité HLM : « Notre monde est une caricature d’Amérique où l’on prend la vie en dégoût ». Houellebecquienne avant l’heure, cette phrase… De mes conversations avec mes camarades sur le sujet, je ne retiens pourtant qu’une plaisanterie sur le nom du philosophe : « Tu nous les casse avec ton « Chopine à l’heure » ». Ils faisaient du Jean Lorrain sans le savoir !
Fermons la parenthèse schopenhauerienne et revenons à Houellebecq et au Charmoy. Si un détail éditorial sépare les deux auteurs, c’est bien la différence d’échelle de leurs succès en librairie. Arthur de son vivant, se vendait très mal, le pilon étant son meilleur client, tel n’est pas le cas de Michel…
C’est ce que confirme du moins cet extrait d’un article du point daté du 25 février 2011 et intitulé
« Houellebecq au supermarché dans le 13e arrondissement de Paris »
"C'est pas mal un supermarché, je m'y sens à l'aise. Et c'est bien d'acheter son escalope en même temps que le dernier Houellebecq !", sourit le Goncourt 2010, invité vendredi de l'hypermarché Casino qui figure dans son roman "La carte et le territoire".
L'hypermarché, situé boulevard Vincent Auriol dans le 13e arrondissement de Paris, accueille aussi une petite exposition photo, "Le 13e de Michel Houellebecq".
Dans son dernier roman, lauréat du prestigieux prix Goncourt en novembre, l'un des personnages principaux du livre, Jed Martin, qui habite cet arrondissement entre Seine et Place d'Italie, décrit ce supermarché comme "le seul centre d'énergie perceptible, la seule proposition sociale susceptible de provoquer le désir, le bonheur, la joie"...
"A chaque fois que je viens à Paris, je descends à l'hôtel dans le 13e. J'aime ce quartier. Et puis, je suis définitivement classe moyenne, je n'ai pas envie de loger à Saint-Germain-des-Prés", dit Michel Houellebecq, assis à une table sur un petit podium installé par la radio Le Mouv' (Radio France), derrière les caisses du supermarché.
Des dizaines de badauds passant par hasard et des clients curieux venus faire leurs courses se mêlent à une petite foule d'admirateurs qui sont là pour entendre l'écrivain […] »
De ces propos enthousiastes, Claudi s’est efforcé de tirer quelques conclusions graphiques selon lesquelles, visiblement, ce n’est décidément pas Houellebecq qui nous aidera dans la question du Charmoy !
Les OUIOUIstes de juin 2010 l’ont bien compris qui clament déjà à la cantonade (non, pas à la cantonale voyons !) : « Ah ! Vivre enfin de biftecq et de Houellebecq ! » et pour lesquels « le seul centre d'énergie perceptible, la seule proposition sociale susceptible de provoquer le désir, le bonheur, la joie » c’est bien l’hyper que leur maire s’efforce, « dans l’intérêt général », de leur offrir depuis 2242 jours au Charmoy !
Oui, comme aurait dit Jean Lorrain qui n’était pas une quiche en promo : 2242 jours, ça fait déjà une paye, qu’en croyant nous charmer, on nous encharmoyrde sur tous les tons !
C.S. Rédacteur de Chantecler,
Auxonne, le 6 février 2015 (J+2242 après le vote négatif fondateur)