CHRONIQUES DU CHARMOY- du 5 mars 2011
Fastes grands et énormes de Sire picard, vicomte mayeur d’Auxonne, narrés par le clerc Rodolphe de Lure, Frère de l’Ordre de Saint-Edouard de Landerneau, prêcheur en ladite ville d’Auxonne pour l’avènement du Paradis en notre terre.
Dans la soirée du dix-septième jour de décembre de l’An de Grâce 1508, en la bonne ville d’Auxonne, le conseil des échevins réuni, pour ne point effrayer les marchands qui s’agitoient en place, décida de ne point acquiescer à projet que vicomte mayeur présentoit et caressoit pourtant en son cœur magnanime. Aussi ce fut non, un faux-non pour un vrai projet. Et vicomte mayeur vit que cela était bon.
Dans le cours de l’hiver qui suivit, loups coururent à travers la campagne et la Saône gela. On vit échevins auxonnois, frères de l’Ordre de Saint-Edouard de Landerneau et tabellion comtois cueillir secrètement moult promesses en plusieurs feux de la terre du Charmoy.
En mai s’imprima solennellement avis vicomtal armorié proclamant la venue prochaine en terre du Charmoy, de mirifique comptoir d’abondance et de prospérité. En cet avis se pouvait lire que grand seigneur comtois dans sa bienveillance et munificence y donnerait tâche aux manants et la livre de pain à moins d’un liard. Autres merveilles y furent promises : hôtel pour coquillards de Compostelle, échoppes de bilboquets et autres brimborions. Hautement flatté des attentions par grand seigneur comtois témoignées, vicomte mayeur publia lettre d’icelui le remerciant de sa très renarde et très opportune discrétion.
Cependant malfaisantes et mécréantes assemblées ducales et royales consultées, jugeant le comptoir inopportun en ce lieu chagrinèrent et navrèrent cruellement les cœurs battant à l’amble de grand seigneur comtois et de vicomte mayeur d’Auxonne.
Revenu en ses terres de Saône, vicomte mayeur indigné et navré, fomenta, leva et harangua compagnies d’habitants riches ou pauvres qui vinrent déposer signatures en l’hôtel de ville pour soutenir mirifique comptoir de beau et généreux seigneur comtois. Icelui, très touché, fit confectionner en ses terres de Lure moult bannières mordorées affirmatives qui furent déployées en la bonne ville d’Auxonne dans le soleil de juin 1510. L’on vit tournois et cavalcades, fervente foule en procession chantant laudes du grand seigneur comtois et vicomte mayeur assura toutes ces bonnes gens de leur donner, pourvu que Dieu lui prête vie, pain à un liard la livre et échoppes de bilboquets.
Mars 1511, un an presque avait passé, mésanges rieuses chantaient déjà dans les buissons du Charmoy, prélude au Paradis terrestre qui devait advenir par les œuvres conjointes de vicomte mayeur picard, et seigneur comtois dispensateurs généreux de pain et de jeux.
Vicomte mayeur venait d’être adoubé en grande confrérie d’azur et chevauchait déjà fièrement en sa ville pour les tournois de mars, heaume en tête, portant couleurs de sa Dame et prêt à rompre en visière. Cependant, tenue de nouvelle assemblée ducale ès comptoirs, naguère malfaisante et mécréante, approchait. Aussi Vicomte mayeur, vêtu de bure et d’humilité, partait en quête et prière et imploration tel carme déchaussé, auprès des soutiens divers qu’il pouvait rassembler pour convaincre enfin l’impie assemblée. S’il le fallait, un jour, il irait jusqu’à Canossa pour obtenir comptoir comtois.
L’air était vif, et journées longues, en la ville grouillaient pour la fête camelots et jongleurs, masques et bergamasques, singes savants et dresseurs de puces, bohémiennes diseuses de bonne aventure.
Laissant derrière lui sa ville en liesse, soucieux et fourbu, vicomte mayeur chevauchait un soir retournant à ses énormes dossiers.
A la croisée d’un chemin advint le prodige. Il sembla d’abord à vicomte mayeur que le frôlement d’aile de l’Oiseau de Minerve avait chatouillé son oreille droite. Acouphène ? Illusion ? Non, c’était le murmure d’une héroïque survivante, fière bannière luronne de notre Ordre de Saint-Edouard de Landerneau qui battait encore depuis juin au vent glacial et vicomte mayeur crut y lire dans un halo « In hoc signo vinces ».
C. S. Rédacteur de Chantecler,
à Auxonne le 5 mars 2011