DE COMBRAY À CHARMOY-CITY. EXERCICES D’HISTOIRE ET DE GÉOGRAPHIE LITTÉRAIRE (6)- du 26 novembre 2018 (J+3631 après le vote négatif fondateur)
Dans un précédent article, relatif à une récente séance du conseil municipal, nous avions annoncé un retard de parution prévisible pour l’ouvrage attendu par le Tout-Charmoy-City proustien, car présenté dans la presse (Le Bien Public du 1er octobre dernier), comme un « clin d’œil à Proust »
Contre toute attente, nous poursuivons donc notre série que nous avions envisagée plus courte et, il est fort probable qu’au présent numéro, le sixième, nous nous efforcerons d’en ajouter encore un septième pour faire bonne mesure d’abord, et aussi pour faire patienter le Tout-Charmoy-City proustien et son gratin, tout trépignant d’impatience !
Pourquoi sept ? Tout simplement parce que La Recherche, dans sa version définitive, est divisée en sept tomes (Du côté de chez Swann, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Le côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe I et II, La Prisonnière, Albertine disparue, Le temps retrouvé)
Quelle drôle d’idée me direz-vous ? Avouons qu’elle n’est pas de nous !
Cette idée de « faire un clin d’œil aux tomes de l’œuvre » nous est venue à la lecture de l’article « AUXONNE CULTURE La ville se dévoile dans un livre », paru dans Le Bien Public du 1er octobre dernier et déjà cité plus haut.
Pour en revenir à notre dernier article de la série, des lecteurs se seront sans doute interrogés sur le petit post-sciptum ajouté par Robert de Saint-Loup en bas à droite de la carte postale adressée à son ami Marcel et dont nous rappelons ici le contenu : « Il y a sur la place une « statue de famille » à ravir ce bon Prince de Borodino ».
DE COMBRAY À CHARMOY-CITY. EXERCICES D’HISTOIRE ET DE GÉOGRAPHIE LITTÉRAIRE (5)- du 14 novembre 2018
Nul n’étant censé être un proustien à l’aise dans l’univers complexe de La Recherche, nous livrerons la clé de cette allusion à nos concitoyens.
Dans le tome 6, intitulé Albertine disparue, de La Recherche, autour de la page 150 de l’édition de 1919, il est question d’un régiment de cavalerie en garnison à Doncières, d’un très aristocratique maréchal-des-logis Robert de Saint-Loup, marquis issu de la vieille noblesse et de son capitaine, Prince de Borodino, qui comme son nom l’indique est issu de la toute fraîche noblesse d’Empire.
Borodino est en effet une bataille de la campagne napoléonienne de Russie (1812), plus connue en France sous le nom de bataille de la Moskowa. Petite vidéo illustrative pour les amateurs
https://www.youtube.com/watch?v=sDcDgSgZDp0
Pour en revenir au capitaine, Prince de Borodino et à son subordonné le maréchal-des-logis Robert de Saint-Loup, le narrateur de La Recherche s’attache à nous démontrer que, dans le cas précis, la supériorité de grade peut ne pas coïncider avec la supériorité de classe.
De là cette ironie du sous-officier subalterne à l’encontre de son capitaine.
Dans le cours du roman, le narrateur ne manque d’ailleurs pas de souligner à plusieurs reprises le rapport bancal entre le capitaine et son subordonné : « Le capitaine de Borodino était au mieux avec le coiffeur car il était, malgré ses façons majestueuses, simple avec les petites gens. Mais le coiffeur, chez qui le Prince avait une note arriérée d’au moins cinq ans et que les flacons de « Portugal », d’« Eau des Souverains », les fers, les rasoirs, les cuirs enflaient non moins que les shampoings, les coupes de cheveux, etc., plaçait plus haut Saint-Loup qui payait rubis sur l’ongle, avait plusieurs voitures et des chevaux de selle » (pp. 154 et 155 de l’édition de 1919)
« le capitaine de Borodino n’avait que des rapports de service, d’ailleurs excellents, avec Robert. C’est que le prince, dont le grand-père avait été fait maréchal et prince-duc par l’Empereur, à la famille de qui il s’était ensuite allié par son mariage, puis dont le père avait épousé une cousine de Napoléon III et avait été deux fois ministre après le coup d’État, sentait que malgré cela il n’était pas grand’chose pour Saint-Loup » (p. 157 de l’édition de 1919)
Proust est un maître dans l’analyse et la peinture des rapports mondains, des subtilités de préséances d’un monde raffiné, aujourd’hui disparu, et dont il est l’observateur hypersensible et sagace.
Ce monde de Proust est encore très proche des souvenirs des deux empires napoléoniens. De ces souvenirs, l’écrivain est sans doute marqué dans son esprit et même dans sa chair.
Proust est né juste après la chute du Second Empire, sa mère a subi, pendant sa grossesse les privations du Siège de Paris (1870-1871). Ses parents ont souvent vu là, une cause possible de la santé délicate qui marquera si profondément son destin. Ajoutons que, son père le Docteur Proust fut blessé lors des émeutes de la Commune.
Né avec la chute des Bonaparte, il en était encore très proche historiquement par son époque et par ses relations sociales. Il fréquenta ainsi dans sa jeunesse le salon de la Princesse Mathilde de Bonaparte (1820-1904) au 20 rue de Berri.
On trouve un témoignage de cette relation dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs, deuxième tome de La recherche :
« Je vais vous présenter à Son Altesse Impériale », me dit Mme Swann. Swann m’attira un moment à l’écart pendant que Mme Swann causait du beau temps et des animaux nouvellement arrivés au Jardin d’Acclimatation, avec l’Altesse. « C’est la princesse Mathilde, me dit-il, vous savez, l’amie de Flaubert, de Sainte-Beuve, de Dumas. Songez, c’est la nièce de Napoléon 1er ! Elle a été demandée en mariage par Napoléon III et par l’empereur de Russie » (À la recherche du temps perdu Tome 1, p. 532 Édition de la Pléîade)
Il faut ainsi se représenter que la statue de Bonaparte sur notre place d’Armes n’est autre que celle de l’oncle de la Princesse. À noter aussi qu’elle fut érigée avec l’appui de Napoléon III, cousin et ex-fiancé de cette princesse.
À noter encore, qu’au cours de la Seconde République (1848-1951), après l’élection au poste de président de la république de Louis-Napoléon, futur Napoléon III, Mathilde assuma le rôle de maîtresse de maison à l’Élysée, le prince étant célibataire. Une première dame en quelque sorte, mais sur un mode original.
L’allusion de Saint-Loup, sur sa carte postale à Marcel, à la « statue de famille » : « Il y a sur la place une « statue de famille » à ravir ce bon Prince de Borodino » était donc bien de nature à parler à Proust !
Pour en revenir à la Princesse Mathilde Bonaparte, divers témoignages la font apparaître comme une personne lucide sur la vie et sans façons. On lui prête ainsi cette citation : « Sans Napoléon Ier, je vendrais des oranges dans les rues d'Ajaccio ».
Proust lui-même, lui prête un bon mot dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs.
Mais faisons d’abord, un peu de généalogie préliminaire pour bien situer le propos.
Jérôme, frère du grand Napoléon, était le père de la Princesse Mathilde, et de son cadet Napoléon-Jérôme Bonaparte (1822-1891) dit « Plon-Plon ». « Plon-Plon » eut un fils le Prince Louis (1864-1932), neveu de la Princesse Mathilde, dont il est question dans ce passage de La Recherche :
« — Il paraît que le prince Louis s’est engagé dans l’armée russe [N.D.L.R. il est probable que, tout comme les héritiers de la famille d’Orléans, il ne pouvait pas servir dans les armées de la République], la princesse va être désolée de ne plus l’avoir près d’elle, dit Mme Swann qui ne voyait pas les signes d’impatience de son mari. — Il avait bien besoin de cela ! Comme je lui ai dit : Ce n’est pas une raison parce que tu as eu un militaire dans ta famille », répondit la princesse, faisant avec cette brusque simplicité allusion à Napoléon Ier.» (À la recherche du temps perdu Tome 1, p. 534, Édition de la Pléïade)
Puisque nous y sommes résolument entré avec La Recherche, poursuivons sans complexe sur le thème bonapartien, un des thèmes historiques majeurs dans l’histoire de notre charmante cité qui avait jadis un musée Bonaparte.
L’an passé, en souvenir de ce musée et dans l’espoir de sa résurrection, nous avions publié une série de variations anecdotiques sur ce thème. Nous en proposons aujourd’hui une relecture aux plus mordus des habitués de Chantecler :
ALBUM BONAPARTE À AUXONNE ou le Promeneur Solitaire Corse
Et Proust dans tout ça ? On l’aura un peu perdu en route !
Mais non, on y reviendra en force la prochaine et dernière fois, et cette fois avec un sujet d’une actualité encore récente chère à notre Président « l’itinérance mémorielle », autrement dit : l’évocation de la Grande Guerre.
En attendant Claudi fait une fleur aux fouineurs de chez Delcampe.
Nos lecteurs se souviennent sans doute de l’ascension estivale de nos élus à laquelle nous avions consacré un article.
CHARMOY-CITY : LES 169 MARCHES - du 29 août 2018
Cette fois, c’est une superbe photo inédite du maréchal-des-logis, Robert de Saint-Loup, Marquis de Saint-Loup-en-Bray, accoudé à la balustrade du clocher qu’il nous fait découvrir. La magnifique trouvaille vient d’ailleurs de mériter les honneurs de la presse !
Par ce hasard des découvertes, s’opère ainsi le rapprochement fortuit entre un joyau gothique de la Somme immortalisé par Marcel Proust dans La Bible d’Amiens et notre Vierge au raisin encore récemment présentée et mise en lumière.
CHARMOY-CITY : ON A DES MERVEILLES À VOUS MONTRER - du 02 novembre 2017
C.S. Rédacteur de Chantecler,
Auxonne, le 26 novembre 2018 (J+3631 après le vote négatif fondateur)
Publié dans Revue de presse