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26 décembre 2013 4 26 /12 /décembre /2013 00:00

LES DEUX  MORTS ANNONCÉES D’UNE GRAND’MÈRE – du 26 décembre 2013 (J+1835 après le vote négatif fondateur)

     Chers lecteurs, chères lectrices ! Si ce titre vous semble un peu triste, consolez-vous, c’est aussi celui d’un conte de Noël inédit que vous lirez un peu plus bas.

    Un conte de Noël ? Pourquoi ? C’est très simple, nous avons quelques forfaits à nous faire pardonner ! Dans un récent article, n’avions-nous pas rendu compte  du scoop du cœur artificiel, nous empressant aussitôt, de façon éhontée, de le détourner au profit de notre bonne cause !

    Ce forfait tout juste accompli, nous détournions, dans un article suivant, la sympathique figure du Père Noël, le faisant arriver de LURE jusqu’au Charmoy. Décidément, Chantecler est un iconoclaste et un empêcheur de tourner en rond ! 

  Iconoclaste peut-être, mais iconoclaste au nez creux car le jour-même, 24 décembre, le permis de construire au Charmoy était affiché sur le panneau officiel de notre ville ! Le Père Noël était passé par-là !

    Comme nous l’avons déjà souligné, est-il vraiment opportun de vouloir implanter à 2 km du centre authentique « battant au rythme du commerce local », un « cœur artificiel » parachuté en plein champ qui ne manquera pas de pomper, par la voie de l’« artère » rénovée, la vitalité déjà bien déclinante du commerce du centre ancien ?                                                

   Et cette volonté, inspirée  par un conformisme à courte vue,  reproduisant, au demeurant, des schémas de développement éculés vieux de près d’un demi-siècle, qui ont défiguré notre pays et détruit le tissu social de ses petites villes, n’est-elle pas le manque d’imagination de trop qui provoquera le collapsus du centre authentique « battant au rythme du commerce local » ?

    Aujourd’hui, pour nous consoler de ces sombres perspectives et pour nous racheter, s’il en était besoin, de nos forfaits caractérisés de « monopole du cœur » et de « détournement de Père Noël », nous voudrions proposer à nos fidèles lecteurs un conte de Noël plein d’espoir, malgré son titre tristounet : « Les deux  morts annoncées d’une grand’mère » 

Les deux  morts annoncées d’une grand’mère

      Il était une fois, c’était au cœur des « Trente Glorieuses », une petite ville du nom d’Auxonne. Je vivais là, le temps de mon enfance. J’étais alors très jeune, et la ville très vieille, et je l’aimais bien ainsi, comme on peut aimer une grand’mère. Les enfants d’alors étaient libres, et un peu sauvages, et nous courions joyeux sur ses remparts à l’abandon.

       En 1958 j’étais encore un gentil communiant un Réviseur du Ministère de la Reconstruction et du Logement rendit visite à la grand’mère pour un chek-up. Ce fonctionnaire qui préparait la France nouvelle sur les ruines de l’ancienne, annonça sans ambages aux autorités locales que la grand’mère était bien caduque.  En conséquence « le conseil municipal [du 5 février 1958] approuv[a] [le] rapport qui fai[sait] état de la vétusté des immeubles de la Ville et n’y formul[a] aucune observation ». Par conviction, ou par paresse ?

      En clair, tout le monde en était bien convaincu, il était grand temps de « liquider » le corps usé de la vieille et tout son antique capharnaüm, et de remplacer ces ruines par une nounou aseptisée, installée dans un logement standardisé aux normes du confort moderne. On garderait bien sûr quelques photos-souvenirs et les objets de quelque valeur après désinfection. Le temps passa et en 1963 le portrait au carré de la nouvelle nounou des enfants d’Auxonne fut esquissé par d’éminents urbanistes parisiens. Sous la plume du chroniqueur local du moment, Les Dépêches du 5 décembre 1963 rendaient compte, en ces termes de l’évènement : « Les mois ont passé et puis, un beau jour – c’était au printemps 1963 – un architecte parisien et les techniciens du Ministère de la Construction et du Logement présentèrent à nos édiles un avant-projet. »

     L’affaire faisait donc son chemin, le portrait de la nounou aseptisée se précisait en 2D et en 3D. Un problème cependant subsistait. Où irait-on loger la marmaille chassée des jupes réputées insalubres de la vieille grand’mère ? Un espace inhabité du centre ville fut désigné, qui ferait l’affaire : l’ilôt de l’Arsenal, cette verrue ! C’était simple comme bonjour, on ferait table rase de toutes ces vieilles lunes inutiles et malsaines pour y construire de jolies barres aux normes et loger la « nounou d’appoint ».

        Le 1er mars 1966, le Conseil municipal adopta donc à l’unanimité « la démolition de l’arsenal par la Société Est-Récupération, qui effectuer[ait] ces travaux gratuitement compte tenu des matériaux de récupération » (Cf. Le Bien Public des 12 et 13 mars 1966). Comme on s’impatientait vraiment d’en finir une bonne fois pour toutes avec la vieille, une décision pressante fut prise à nouveau lors de la séance du 2 juin : « Le Conseil Municipal à l’unanimité de ses membres présents, approuv[a] la démolition de l’Arsenal [et] demand[a] que cette démolition intervienne rapidement ».

      Le petit garçon qui courait sur les remparts avait grandi, il allait avoir vingt ans, il ne voulait pas de ce prétendu «progrès» imposé par les normes de technocrates bornés venus de Paris et approuvé sans réserves par des élus locaux affligés de cette myopie particulière que confèrent souvent le conformisme et la paresse intellectuelle ; il  refusait cette «caricature d’Amérique où l’on prend la vie en dégoût», comme le lui avait écrit si justement son professeur de philosophie Pierre Camp . Le dépeçage programmé de sa grand’mère le révoltait. Il se rangea donc aux côtés de ses grands aînés Pierre Camp et René de Cointet qui travaillaient déjà contre cette vésanie.

      Alors, avec l’aide providentielle d’André Malraux, le vent mauvais  tourna et le miracle advint. Les acharnés du nettoyage par le vide durent surseoir, puis renoncer à la démolition programmée de ce qui est devenu aujourd’hui, comme par miracle, un magnifique témoignage de l’architecture de Vauban. Les noms des élus d’alors, partisans unanimes de la pioche des démolisseurs, commencent à déserter les mémoires, mais la grand’mère est toujours là, vivante et honorée  par de nombreux visiteurs.

      Il y a 50 ans, donc, on voulut « liquider » la vieille grand’mère dont beaucoup regrettaient alors cyniquement qu’elle n’ait pas croulé plus tôt sous les bombes allemandes ou alliées pour faire place à du béton neuf. Ce qu’avait épargné la guerre, les urbanistes et les promoteurs allaient  rapidement s’en charger, avec la bénédiction des élus ! Heureusement, contre toute attente, la raison et le bon sens finirent par l’emporter in extremis et la grand’mère fut sauvée !

    Il y a cinquante ans et plus on rasait donc à qui mieux mieux de vénérables centres ville, c’était alors la mode ; aujourd’hui, plus sournoisement, on épargne grosso modo les vieux murs tout en  les vidant de leurs forces vives. Autres temps, autres mœurs !

        Auxonne n’échappe pas à la règle qui survécut à la première menace, mais découvre à présent l’imminence de la seconde, on vient en effet de donner le feu vert pour l’implantation, dans la périphérie d’Auxonne, d’un centre-commercial sur le modèle répétitif et banalisé de centaines d’autres. Il suffit de suivre l’évolution des centres de nos petites villes, ces braves grand’mères un peu fatiguées à l’image de notre vieille Europe, pour constater que l’apparition de tels établissements dans leur périphérie signe, à plus ou moins long terme, la momification de la vie commerciale des boutiques traditionnelles, ne laissant subsister dans les centres anciens désertés que quelques banques, quelques pharmacies et quelques troquets. Comme il y a cinquante ans, notre grand’mère est donc à nouveau gravement menacée.

    N’oublions pas tout de même, qu’il y a cinquante ans, de façon surprenante et contre toute attente, la raison et le bon sens finirent par l’emporter in extremis et  que la grand’mère fut sauvée ! L’avenir n’est pas encore écrit !

 

C. S. Rédacteur de Chantecler,

Auxonne, le 26 décembre 2013  (J+1835 après le vote négatif fondateur)

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Publié par CL;S., Auxonnais - dans Figures libres