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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 00:00

 « DIVINE ENSEIGNE » - du 29 octobre 2012 (J+286 après la CNAC)

 

 

         Nous terminions notre dernier article en proposant  à nos fidèles et nombreux lecteurs, de se risquer à un libre exercice de création. Après « Le sous-préfet aux champs », nous lancions l’idée d’un « Monseigneur au Charmoy ».

    Mettre en scène la visite d’un prélat dans un coin encore verdoyant du canton, la zone du Charmoy,  cela semblait de l’ordre du possible, on pouvait peut être y parvenir encore une fois avec l’aide d’Alphonse Daudet, inspirateur irremplaçable lorsqu’il s’agit de brosser des petits tableaux de mœurs agrestes. Le problème est que le monde dépeint si finement par Daudet n’est plus.    

    Et cependant, me direz-vous, Daudet nous parle encore ; ainsi Maître Cornille et le Révérend Père Gaucher pourraient résumer à eux seuls les deux faces du destin commercial d’aujourd’hui : déclassement tragique des commerces de centre-ville d’une part et succès « diabolique » du commerce périurbain d’autre part. Le petit commerce traditionnel en déclin connaît bien souvent les angoisses du fier meunier, mais aux nouveaux venus, dont la publicité tapageuse connaît le succès enivrant du fameux « élixir », il manquera toujours la naïveté joviale du bon Père.

     Sous la plume de Daudet, l’ivresse du Révérend était bonhomme, mais il faudrait un Zola pour peindre l’addiction au mythe du discount qui pousse les foules en masse vers la « campagne » périurbaine, terre promise aussi laide que déshumanisée. On n’imagine pas un Monsignore bénissant caddies ou palettes ! Il est vrai qu’on en a vu d’autres, mais tout de même !

     A la suite de ces tristes réflexions, nous étions déjà prêt à renoncer à notre projet, mais cela nous  chagrinait quand même de ne pas apporter un peu de grain à moudre au brave Maître Cornille, alors nous avons pris le parti de situer notre narration en 1866. 1866 ! Pourquoi ? Pourquoi  pas !

     Cette année-là, Daudet a 26 ans, il publie Les lettres de mon Moulin, l’Empire français adopte le Chassepot, son célèbre fusil Mle 1866, Monseigneur Rivet est évêque de Dijon et, en appendice de son Instruction pastorale et Mandement du 29 janvier, il annonce : « Nous comptons visiter cette année les Doyennés de Meursault, Nolay, Bligny-sur-Ouche, Arnay-le-Duc, Liernais et Saulieu ».

     Toutes nos références bibliographiques sont vérifiables, mais cette fois, entrons pour de bon dans la fiction en ajoutant subrepticement Auxonne à la liste des Doyennés visités en 1866.

     Voilà donc Monseigneur en visite à Auxonne. Lors de ses rencontres et entretiens au fil du canton, l’actualité dramatique du moment a sans doute pris toute sa place. On l’imagine, soucieux, évoquant la guerre entre la Prusse et l’Autriche, les évènements d’Italie qui menacent le Saint-Siège, les inondations soudaines de l’Ouche et de l’Armançon qui ont fait beaucoup de dégâts. A ce propos, il renouvelle son appel à la solidarité.

    Nous sommes en octobre « Salut bois couronnés d’un reste de verdure Feuillages jaunissants sur le gazon épars », la journée est claire et douce, les vers de Lamartine chantent à présent dans l’esprit de Monseigneur qui manifeste le désir de se rendre sur les hauteurs de la route de Dole pour contempler la flèche récemment érigée de Notre-Dame du Mont-Roland, à « l’horizon 2013 », excusez du lapsus, où avais-je la tête ? Je voulais dire à l’horizon des bois !       

        Monseigneur a lu l’ouvrage tout récent du Père Montial, de la Compagnie de Jésus,  Notre-Dame de Mont-Roland : « Dans un sanctuaire, construit à grands frais, l’art a déployé toute sa magnificence pour recevoir la reine de ces contrées ». Monseigneur était sans doute présent à l’inauguration de 1858, mais il veut aujourd’hui contempler le sanctuaire dans son écrin de paysage.                   

       Monseigneur est sensible au spectacle de la nature, le prologue de sa lettre circulaire écrite de Meursault le 26 avril précédent en témoigne : « Dans cette riante et belle saison où la terre se couvre de fleurs et de verdure, où les merveilles de la végétation naissante excitent notre admiration et donnent de si douces espérances… ». La campagne est belle, voilà moins de dix ans que Millet a peint l’Angélus et les Glaneuses. Imaginons la voiture de Monseigneur sur le vieux chemin de Dole, là même où nous avons figuré un Angélus inédit. On s’arrête un peu plus loin, au bord du Bief Pérou qui serpente paresseusement parmi les joncs, l’orthopédie du génie rural n’a pas encore accompli son œuvre brutale de redressement En 1866, champs de gerbes, mares à grenouilles et clochers peuplent encore des paysages que n’ont pas adultéré  le béton, la bagnole,  la publicité,  les pesticides et les OGM.

       Le bienheureux prélat ne soupçonne pas encore cet avenir, confiant qu’il est dans : « le spectacle de l’univers et l’ordre admirable qui y règne ; le nombre incalculable des êtres qu’il renferme, la variété de leurs espèces… » (Mandement du 2 février 1867). Entre les clochers de Notre-Dame d’Auxonne et de Notre-Dame de Mont-Roland son regard serein et confiant contemple la campagne à la ronde. Songeur, il s’adresse à la compagnie : « Mes frères, le bon Abbé Barranger, dans ses Légendes universelles a naguère prêché pour le relèvement de Notre-Dame de la Levée, l’idée fait son chemin, mais la réalisation n’est point encore en vue. Il me vient à ce propos une idée : pour faire écho et pendant à Notre-Dame de Mont-Roland relevée avec zèle par nos frères Dôlois, ne pourrions-nous pas ériger par souscription une chapelle dédiée à Notre-Dame en terre du Charmoy ou, pour reprendre le propos du Père Barranger : « Une divine enseigne, indiquant aux voyageurs qu’ils arriv[ent] dans une cité catholique »

     D’érudits abbés et vicaires aux mains fines et blanches écrivirent à la suite brochures et mémoires défendant l’épiscopal projet. Plus de mille signatures vinrent s’inscrire au grand livre de souscription ouvert à la Mairie d’Auxonne. Puis on vit tout un été deux chapeaux noirs à larges bords, venus tout droit du pays des lavandes, flotter au-dessus des champs de turqui. C’était Maître Honorat Grapazi et son clerc. Le notaire de Pampérigouste, dont la vente du moulin de Maître Cornille avait assis la réputation, s’enquit d’acquérir avec zèle, diligence et précision les terrains voués au saint projet.

     Un siècle et demi a passé et depuis, des générations de turqui ont continué à grandir sur le coteau. Si du côté de la chapelle de Levée,  à présent classée, on ne voit heureusement plus « dans le sanctuaire, des lapins brouter démocratiquement », au Charmoy, en revanche, la « divine enseigne » se fait toujours attendre.

 Maître Honorat

    

C. S. Rédacteur de Chantecler,

Auxonne, le 29 octobre 2012 (J+286 après la CNAC)

 

Références bibliographiques :

DAUDET A., Lettres de mon moulin, Paris, Editions du Panthéon, 1951

RIVET Mgr F.V., Evêque de Dijon, Lettres et mandements, 1860-1871, recueil factice

MONTIAL Père, de la Compagnie de Jésus, Notre-Dame de Mont-Roland, Paris, 1866

[BARRANGER] Abbé A., Légendes universelles, Auxonne, Saunié, 1847

CAMP P., Guide illustré d’Auxonne, Dole, Chazelle, 1969 (ouvrage très utile et recommandé aux « historiens » des rues d’Auxonne) 

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Publié par Cl. S., Auxonnais - dans Figures libres